Si vous vous intéressez à votre alimentation, vous avez très certainement entendu parler du quinoa, et depuis quelques mois le fonio ? Ces super-aliments aux nombreuses vertus nutritives qui ont su conquérir la planète. A l‘heure où le monde a réussi à se scinder en deux univers désolants : les populations qui meurent de faim et celles qui meurent d’obésité, de telles « découvertes » semblent être la panacée qu’on attendait tous. Faciles à produire, résistantes à des conditions climatiques extrêmes, ces plantes devaient être la solution à tous nos maux (le quinoa a été élu plante de l’année 2013 par l’ONU, le fonio est la « céréale du futur » selon la FAO, l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture).
Malheureusement, le miracle n’a pas encore eu lieu. Si la prise de conscience de l’importance d’une alimentation saine s’est clairement améliorée, la bataille contre la malnutrition est loin d’être gagnée. De plus, la mise en avant subite d’une plante parmi tant d’autres semble créer de nombreux déséquilibres aussi bien d’un point de vue environnemental qu’économique. Faut-il pour autant renoncer à la recherche et mise en avant de ces super-aliments? Évidemment non. En revanche, il paraît incontournable de repenser notre approche et pratique de l’agriculture afin de trouver des solutions plus durables pour tous.
Nous avons échangé avec Cheikh Thiam, co-fondateur de l’association Jokko et de la société Begue Coco, actuellement en formation à l’Université des sciences gastronomiques, pour mieux comprendre le sujet et ses enjeux, notamment dans son pays, le Sénégal.
Le cas du quinoa, bref résumé
Plante utilisée depuis des millénaires dans l’alimentation quotidienne en Bolivie, Colombie et Pérou, le quinoa se retrouve désormais dans les assiettes du monde entier. Présenté comme un levier salvateur d’une croissance durable, il semblerait, à première vue, en avoir plutôt accélérer la perte.
En effet, l’augmentation soudaine de la demande accompagnée de l’enrichissement des agriculteurs andins a poussé à une intensification de la production, qui s’est souvent opérée au détriment d’autres cultures traditionnelles et de l’élevage, pourtant nécessaires à leur équilibre alimentaire et économique. De plus, l’offre ne répondant pas à la demande galopante, les prix également ont explosé, privant les populations locales les plus démunies de leur aliment de base, ce qui les aurait poussés, selon certaines enquêtes, vers la junkfood, devenue l’alternative la plus abordable. Ainsi, présenté comme une des solutions idéales à la sécurité alimentaire, le quinoa, ou du moins la façon dont il a été exploité jusqu’à maintenant, a encore ses preuves à faire.
Au Sénégal, le danger des produits « vedettes »
Et aujourd’hui, les chercheurs et scientifiques mettent en garde contre l’effet « quinoa » en ce qui concerne le fonio. En effet, il pourrait emprunter la même voie tant les similitudes sont nombreuses : céréale utilisée depuis des millénaires par le peuple Dogon pour ses vertus spirituelles et nutritives, il a subitement connu une renommée mondiale quand la communauté scientifique a révélé ses nombreuses qualités nutritives et qu’un chercheur sénégalais a mis au point une machine facilitant l’épreuve, jusque-là douloureuse et pénible, du décorticage.
Et le phénomène ne concerne pas seulement le fonio ; rien que pour le Sénégal, seule une dizaine de produits locaux sont cultivés à l’échelle nationale, quand il en existe plusieurs dizaines de milliers, qui tombent progressivement dans l’oubli et l’abandon.
Sans tirer sur l’ambulance, le danger semble résider dans la mise en avant d’un seul ou d’un nombre réduit de produits : parce qu’il sait qu’il va les écouler rapidement et à un bon prix, l’agriculteur, dont les conditions de travail sont très pénibles, préfère se concentrer sur ces produits et délaisser ceux qui n’ont pas un intérêt économique immédiat à ses yeux.
Or, cette sélection, loin d’être naturelle, a des conséquences néfastes sur le long terme concernant l’écosystème et l’économie locale. En effet, en se concentrant sur la monoculture, l’agriculteur rompt l’équilibre et prive la terre de certains nutriments essentiels. Le sol va alors s’appauvrir et devenir plus sujet aux maladies, dont les conséquences peuvent être rapidement terribles sur des récoltes entières.
Cette perte de fertilité des sols affecte les rendements agricoles, et donc les revenus des agriculteurs. Pour y remédier, ces derniers ont, malheureusement trop souvent encore, recours aux produits fertilisants et pesticides chimiques, solutions qui fonctionnent à court terme, mais sont, comme nous le savons désormais, encore plus destructrices à long terme. Ces pratiques, multipliées à l’échelle d’un pays, deviennent une véritable menace concernant la sécurité alimentaire.
Il convient donc de réfléchir à de nouveaux modèles, capables de protéger la biodiversité tout en étant rentables pour la filière agricole.
La permaculture comme solution pour le long terme
En effet, l’Agriculture, née il y a 12 000 ans, a eu pour objectif de libérer l’Homme, en lui donnant la possibilité de « soumettre » la Nature, au lieu de la subir. Ce paradigme a toujours conditionné la relation, de domination, entre l’Homme et son environnement. Cela ne semblait pas poser de problèmes jusqu’à ce qu’on réalise que notre planète dispose de ressources limitées, au regard notamment du nombre de ses habitants, et qu’on ne peut pas soumettre éternellement la nature.
A contre-courant des systèmes agricoles modernes et industriels, plusieurs mouvements ont ainsi émergé dont la permaculture. Leur raisonnement est simple : Puisque la nature, laissée sans entrave, s’auto-génère et se régule, pourquoi ne pas s’en inspirer au lieu de se concentrer sur nos cultures éphémères, fortement consommatrices en énergie et in fine destructrices ? L’objectif est donc de valoriser seulement les systèmes qui, durant leur cycle de vie, produisent plus d’énergie qu’il n’en faut pour les créer et les maintenir. Ce principe s’applique à l’agriculture mais peut aussi s’étendre à tous les domaines (économique, social et environnemental…).
Pour avoir un réel impact, ces changements impliquent une prise de conscience générale et nécessitent un véritable engagement des communautés. Ainsi, de nombreuses initiatives ont été mises en place au Sénégal afin d’instaurer un modèle d’agriculture régénérative au sein des communautés qui cultivent le fonio. C’est le cas par exemple de l’initiative Yolele Foods, dont l’un des fondateurs, le chef sénégalais Pierre Thiam, est reconnu mondialement comme l’ambassadeur de la cuisine africaine et le promoteur du fonio sur le plan international.