Nous commençons cette série d’article sur les écolieux à 122 km de Dakar, dans la région du Sine Saloum et plus précisément à Kamyaak.
Le village accueille depuis 2017, l’écolieu Kamyaak Village, un projet porté par l’association Jiwnit et son fondateur, l’artiste-compositeur et entrepreneur social sénégalais, Sahad Sarr. Nous avons rencontré Issa Sarr, communément appelé Damaan, membre actif de l’association, pour qu’il nous raconte l’histoire de ce lieu, son organisation et ses ambitions.
Peux-tu nous présenter votre projet ?
Damaan Sarr : Kamyaak Village est un projet socio-écologique qui promeut le développement communautaire durable en privilégiant le bien-être et l’autonomisation effective des populations rurales. C’est dans un cadre de paix, d’indépendance et d’autonomie que nous expérimentons un modèle de village durables axé sur :
- l’accompagnement des populations vers une autosuffisance sûre et un développement économique ancré dans des valeurs socioculturelles,
- la mise en valeur de connaissances écologiques traditionnelles confrontées à d’autres formes de savoirs et pratiques universels
- l’apport de solutions reproductibles dans les zones faisant face aux conséquences du dérèglement (dont la baisse de pluviométrie, l’aridité, et la salinisation des sols).
Nos activités reposent sur l’agro-écologie, l’écoconstruction, l’élevage, le tourisme solidaire, l’application de systèmes à énergies renouvelables, mais aussi l’éducation, la spiritualité, l’art et la culture.
Comment tout a commencé ?
D.S : Par la rencontre de personnes de tous horizons animés par l’ambition d’apporter, de façon concrète et efficiente des solutions alternatives aux problèmes liés à la vulnérabilité socioéconomique des populations en milieu rural, (le manque d’emplois, l’exode rural, l’immigration des jeunes vers l’occident, le non-accès à l’information et aux infrastructures socioéconomiques de base…). Aussi, par la remarque que certaines communautés qui ont toujours investi dans le relationnel et le vivre ensemble, commencent à s’essouffler et se perdre dans cette course effrénée vers le profit.
Et face à l’échec de nos gouvernants et au présent contexte climatique ; face à une aide au développement inefficace proposée par des ONG qui parfois, heurtent dans leur démarche la dignité des bénéficiaires. Face à un système dominateur et suicidaire plaçant l’homme au-dessus de tous, et imposant un modèle uniforme de développement. Nous avons souhaité dans une démarche d’indépendance, traiter avec la nature sous l’angle de la coopération et vivre des expériences humaines, singulières et durables.
Pourquoi avoir conçu ce lieu ?
D.S : Pour nous affranchir individuellement et collectivement du consumérisme en remplaçant l’agriculture de masse par une masse d’agriculteurs. Et rétablir, par conséquent, le lien de coopération entre l’humain et la nature.
Nous voulons rappeler à l’homme qu’il est plus profitable d’être dans une relation de « serviteur-producteur » avec l’environnement plutôt qu’une relation « seigneur-consommateur », condamnée à un lendemain incertain. Si l’homme est placé ou se place lui-même au centre de la création, ce n’est pas pour asseoir une domination, mais plutôt pour coordonner et veiller, par sa science et sa raison, à l’harmonie de la Terre, en toute conscience et dans la plus grande responsabilité.
Et dans cette dynamique, nous nous joignons aux nombreux acteurs qui sèment des graines organiques et apportent un changement durable.
Enfin, nous estimons qu’il n’est plus approprié d’apporter des projets tout pensés et modelés, loin des réalités des populations rurales. C’est pour cela que nous travaillons avec eux, en partant de leurs urgences et besoins. Ce qui implique de vivre sur place dans la confiance, le partage et la dignité des uns et des autres pour le bénéfice des générations futures.
Quel message souhaitez-vous transmettre par ce lieu?
D.S : Pour nous un écolieu c’est un lieu-école, un lieu d’apprentissage, d’accomplissement et de réalisation de soi. C’est dans cette lancée que nous avons intégré, au fondement de notre projet, le culturel et le spirituel.
De notre spiritualité, nous tenons le principe du Njaxas ou patchwork, un tissu constitué de morceaux rapportés aux couleurs disparates, entendu métaphoriquement comme une mise en concorde de sentiments, d’opinions, de savoirs, de compétences et d’expériences singulières.
Un écolieu c’est aussi un lieu de travail de la terre. Dans ce sens, nous devons rappeler que Kamyaak n’est pas seulement un projet de retour aux activités champêtres de subsistance, mais aussi le chemin du devenir-terre. Cela suppose une incarnation de la terre dans ses valeurs d’humilité et de générosité, d’endurance et de support vital. C’est là tout le sens que le père du Bayfallisme, Mame Cheikh Ibra Fall accorde à cette fameuse expression, à laquelle nous adhérons pleinement : je suis terre !Cette idée est d’une grande source d’inspiration et de sagesse, pour nous et notre projet.
Quelle est l’organisation pratique de l’écolieu ?
D.S : Notre équipe est composée d’une trentaine de membres actifs et bénévoles. Nous avons un mode de fonctionnement circulaire et participatif, toutes les décisions sont discutées et validées par l’ensemble, avant mise en application. Notre principale force est notre proximité avec la population, 50% de nos membres vivent dans le village.
Concernant le modèle économique, nous avons institué, depuis le début, un système de participation libre des membres et le recours aux dons. Nous avons également mise en place des activités rémunératrices dont chambre d’hôtes pour un tourisme responsable et solidaire, production et vente de cosmétiques 100% naturelles mais aussi des retraites spirituelles et des stages d’initiation à l’agro-écologie à l’art et la culture. Après trois ans d’installation, notre écolieu offre aujourd’hui un cadre social convivial dans une architecture traditionnelle. Un lieu calme et paisible, idéal pour toute activité de création, de méditation et de détente.
Comment est gérée la vie en communauté ?
D.S : L’organisation de notre vie communautaire s’inscrit dans une démarche décolonisée et interculturelle. Nous avons dû en amont, travailler les bases pour une connexion saine et durable au sein de l’équipe puis avec la population.
Dans un contexte métissé comme le nôtre, il a été important, avant de commencer le projet d’identifier nos possibles désaccords, préjugés et stéréotypes. Ça nous a permis de mettre en place des temps de concertation et des espaces de dialogue, pour aller au-delà de nos divergences socioculturelles et réévaluer nos concepts culturels et philosophiques du développement. Même si notre démarche est soutenue par une spiritualité et une vision commune, ce travail « d’hybridation » a été fondamental. Nous veillons à ce qu’il soit sans cesse renouvelé pour éviter d’entrer en contradiction avec nos principes de départ.
Pour nous, une bonne organisation interne doit préparer un engagement sans faille des membres avec un sens de la justice sociale, incorporé par l’idée de service et de sacrifice pour l’intérêt commun. C’est un engagement que l’on prend pour sortir de son confort social ou intellectuel pour se tourner vers les autres et s’élargir. Après cela, nous sommes plus à même d’être à l’écoute des besoins et appréhensions ; de co-construire en mariant nos intentions, priorités, convictions et opinions; et d’étudier l’impact du projet auprès des populations avec lesquelles nous travaillons. C’est cette façon d’opérer qui nous a permis d’installer une relation de confiance et de convivialité dans le cadre du vivre ensemble.
Quel avenir pour Kamyaak ?
D.S : Nous souhaitons étendre le modèle durable dans d’autres régions du pays ou à l’étranger, avec tout l’accompagnement adapté. C’est pour cette raison que nous offrons des formations pratiques dans toutes les activités du projet. Nous entendons partager notre expérience à tous ceux qui souhaitent se lancer dans un projet similaire.