Vous en avez certainement entendu parler mais savez-vous ce que sont les semences paysannes ? Cette semaine, nous avons décidé de vous en parler en compagnie d’Auriane Bertrand créatrice du Seed Tour, un voyage-documentaire autour des semences paysannes.
– les Semences Paysannes, c’est quoi ?
Selon la définition de notre association Qu’est-ce qu’on Sème, les semences paysannes sont des graines libres de droits, sélectionnées et reproduites par les paysans en adéquation avec le territoire et le climat. On retrouve dans cette définition la notion de bien commun, d’autonomie paysanne et de biodiversité.
– Toutes les semences ne sont pas paysannes ?
Malheureusement non. Après la Seconde Guerre Mondiale, l’industrie a investi le secteur agricole et s’est donné pour mission d’élaborer des semences à haut rendement. Ces semences industrielles atteignent les hauts rendements prévus lorsqu’elles sont accompagnées de conditions de culture précises, caractérisées par l’utilisation systématique d’intrants chimiques. Une fois que la graine élaborée satisfait les critères de sélection de l’industriel, il dépose un brevet (en Europe, un certificat d’obtention végétale) pour en garder la propriété. Il vend ensuite aux paysans les graines, les intrants chimiques correspondants et son savoir-faire. Aujourd’hui, le secteur des semences industrielles est très concentré : 7% des semenciers contribuent à hauteur de 70% du chiffre d’affaires global du secteur (données 2016, source : étude Xerfi 2019).
Cela pose 3 problèmes :
Autonomie paysanne : si on laisse la plante issue de ces semences industrielles faire ses graines, et qu’on les replante, le haut rendement prévu est plus difficile, voire impossible dans certains cas, à atteindre. Alors pour maintenir un rendement constant, le paysan qui utilise des graines industrielles rachète son lot de semences tous les ans. Il devient dépendant du prix de ces graines, fixés par l’industrie semencière, et de leurs systèmes de culture associés.
Biodiversité : ces semences sont standardisées pour répondre aux besoins d’un modèle agricole industriel, nous perdons donc peu à peu la biodiversité cultivée de nos régions. Par exemple, les plantes issues de semences industrielles poussent toutes de la même façon, ce qui facilite l’utilisation de machines pour la conduite de culture du semis à la récolte, elles donnent des fruits standards qui permettent de respecter les calibres de la grande distribution, d’être transportés plus facilement, etc.
Nutrition: enfin, les semences industrielles favorisent le rendement à la nutrition. Ce que nous mangeons nous nourrit beaucoup moins qu’avant. Par exemple, pour atteindre le même niveau d’apport nutritif, il faut manger 100 pommes aujourd’hui quand on en mangeait une en 1950 (Worldwatch Institute).
– Comment avez-vous entendu parler des Semences Paysannes ?
En 2014, j’ai vu le film « La Guerre des Graines » de Clément Montfort et Stenka Quillet, les enjeux liés à ce sujet y sont très bien décris et c’est surtout le sujet de la privatisation d’un bien commun qui a d’abord attiré mon attention, avant, au fil des lectures et des rencontres, de comprendre à quel point le sujet était riche : biologie, nutrition, anthropologie, sociologie, ethnologie, gastronomie, spiritualité… La réflexion sur la graine touche à tous les domaines et nous devons tous nous sentir concernés.
– Le Seed Tour qu’est-ce-que c’est ?
C’est pour cette raison que j’ai monté l’association Qu’est-ce qu’on Sème dont le Seed Tour est le premier projet. Il s’agit d’un voyage-documentaire à la rencontre des paysans, chercheurs, associations et entrepreneurs qui s’engagent pour un modèle agricole basé sur l’utilisation de semences paysannes. J’ai choisi de passer un trimestre par pays sur 4 continents différents : Mexique, Sénégal, France et Inde. Le Mexique par exemple, est le pays qui possède le plus grand nombre de variétés de maïs au monde. Le maïs est la base de l’alimentation mexicaine, consommé à tous les repas notamment via la tortilla. Ce pays importe pourtant la majorité du maïs dédié à sa consommation des Etats-Unis, pour des raisons économiques. Les variétés de maïs traditionnelles mexicaines disparaissent car elles ne sont plus cultivées au profit d’un maïs standardisé dont le goût, l’aspect et le caractère nutritif sont clairement dégradés par rapport aux maïs natifs.
J’ai filmé mes rencontres et je poste les vidéos au fur et à mesure sur seedtour.org et les réseaux sociaux liés (Facebook, Instagram et Twitter). Ce projet documentaire vise à informer le grand public sur le sujet des semences paysannes, et à donner à tous les moyens de s’engager dans la transition vers le modèle agricole que nous défendons.
– Quelles alternatives et solutions avez-vous découvert pendant le voyage ? Et au Sénégal particulièrement ?
Mes rencontres n’ont pas donné lieu à la découverte d’une solution miracle qui permettrait à la société civile de transformer le modèle agricole de son pays. Par contre, ces rencontres m’ont nourries (dans les deux sens du terme) ! Je m’en inspire pour identifier de grands axes d’action, pour que chacun puisse s’engager de la façon qui lui convient.
Le premier axe identifié c’est PRODUIRE. En effet, les semences paysannes n’ont de sens que dans un modèle agricole écologique, donc sur de plus petites surfaces et nécessitant plus de main d’oeuvre que le modèle agricole industriel. Il faut donc plus de personnes dans les champs, formés aux techniques agroécologiques et à la reproduction de semences. Il faut aussi que ceux dont ce n’est pas le métier prennent leurs responsabilités de jardiniers, et participent à la conservation et reproduction de semences paysannes. Au Sénégal, j’ai rencontré la communauté de Mbacké Kadior (région de Louga, ONG Ndem). Les membres de la communauté travaillent ensemble pour faire pousser leurs aliments sur place, à partir de semences paysannes et en respectant les principes de l’agroécologie. Découvrir la communauté de Mbacké Kadior.
Le deuxième axe c’est DISTRIBUER. Il faut favoriser les circuits courts qui permettent aux paysans qui travaillent à base de semences paysannes de vendre facilement leurs produits. Il faut que ceux qui mangent s’engagent dans le soutien à ces paysans, en achetant leurs produits, en s’organisant pour s’approvisionner. A Dakar par exemple, le marché ASD ou la livraison directe de la ferme Passion Nature permet aux consommateurs d’accéder à des produits issus de l’agroécologie. Découvrir la ferme Passion Nature.
Ensuite il faut CUISINER. Les semences paysannes donnent des légumes, fruits, céréales non standardisés dont les goûts sont très variés qu’il faut ré-apprendre à cuisiner. Dans l’éco-village de Guédé Chantier (région de Podor), les habitants cuisinent leur repas à partir de leurs jardins nourriciers. Découvrir l’eco-village de Guédé Chantier.
Enfin, il faut ECHANGER. La conservation et reproduction de semences paysannes sont des savoir faire souvent oraux dont il faut favoriser la transmission. Il faut aussi créer des réseaux d’échanges de semences pour les jardiniers et les professionnels. Au Sénégal, l’ASPSP, Association Sénégalaise des Producteurs de Semences Paysannes met en place des cases de semences. Les paysans peuvent s’échanger les graines au lieu d’aller à la boutique de semences du village où les graines sont industrielles, importées et donc non adaptées au sol et au climat sénégalais. Découvrir ma conversation avec Alihou Ndiaye, coordinateur de l’ASPSP.
Pour réaliser la transition vers un modèle agricole basé sur les semences paysannes, il faut aussi AVERTIR. C’est l’objet de notre association Qu’est-ce qu’on Sème, mais c’est aussi la responsabilité de tous ceux qui ont conscience du sujet. Nous espérons que le Seed Tour permettra de (r)éveiller les consciences et de faire naître des projets visant à conserver et reproduire les semences paysannes !
Retrouvez tout le chapitre sénégalais du Seed Tour sur : https://seedtour.org/category/meet-the-seeders/senegal/ Et suivez nous sur seedtour.org ou sur facebook.com/seedtour.org/
Pour avoir plus d’informations sur les semences paysannes au Sénégal, vous pouvez entrer en contact avec :
- L’ASPSP (Thies)
- La FENAB (Thies)
- Yeesal Agrihub (Thies)
- L’ONG Ndem (Louga)
- Le REDES (Dakar – Podor)
- ENDA Pronat (Dakar)
- La ferme des 4 chemins (Toubab dialaw)
- Plantons Utile (Casamance)
- Darou Salam village de Diannah (Casamance)
- la Ferme Ecoland (Petite Cote)
- Taaru Askan (Petite Côte)
Si vous connaissez d’autres structures au Sénégal, n’hésitez pas à partager en commentaire.